SEPTEMBRE 2015-AVRIL 2016
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ABBAYE DE SAINT ANDRÉ
LETTRE DE CHRISTINE DE CHIRÉE À ERIC DE SAINT SEINE ET ISABELLE DE NOAILLES
Chère Isabelle, pensant à la visite menée par Eric de Saint-Seine à l’abbaye de Saint-André, je t’envoie ces quelques lignes que je lui dédicace avec beaucoup d’amitié en pensant à tous les fous rires que nous avons pu avoir jusqu’à aujourd’hui ! Protégée par des murailles séculaires, l’ancienne abbaye bénédictine de St André recèle un trésor où nos pas s’égarent et se perdent dans la volupté de nos sens, un jardin italien avec ses pièces d’eau et ses roseraies, ses cyprès de Toscane et ses rotondes secrètes auxquelles on accède par de petites allées odorantes bordées de genévriers, de seringats ou de buis. Des statues de pierre, éternelles divinités pensives à l’ombre des feuillages, rythment de loin en loin les perspectives. Des murs jaillissent : ce sont les fondations et une partie de l’élévation des églises St Martin et St André. Le lierre envahit les ruines, on croirait se promener dans un dessin d’Hubert Robert ou de Fragonard lorsqu’ils parcouraient en compagnie de l’abbé de Saint-Non les alentours de la ville éternelle. L’abbaye, née sur l’ermitage de Sainte Casarie, fut officiellement reconnue par le pape Grégoire V un an avant l’an mille et abrite encore une partie de son ancien cloître roman. Les grandes salles conventuelles aux voûtes audacieuses sont les témoins de sa vie monastique du XVIIIe mais de l’aile orientée plein sud, construite par l’architecte Pierre Mignard, seules furent épargnées par le vandalisme révolutionnaire les voûtes ouvertes sur le jardin où la vue sur Avignon, au-delà du Rhône éblouit. Comment des hommes ont-ils osé détruire un tel chef d’œuvre ? Au XXe siècle, la restauration de l’abbaye fut l’œuvre de deux femmes d’exception, toutes deux femmes de lettres. Elsa Koeberlé y accueillit Aragon, Elsa Triolet, Seghers ou Paul Claudel lorsqu’il rendait visite à sa sœur Camille internée à l’hospice de Montfavet. En 1950, l’abbaye devint la propriété de Roseline Bacou, conservatrice en chef du département des dessins du musée du Louvre qui mit au jour les églises et restaura le corps principal du bâtiment conventuel. Elle a rendu à ce lieu sa beauté, elle lui a insufflé une vitalité qui lui permet désormais de traverser les siècles. Sans doute connais-tu chère Isabelle et toi aussi Eric, cette anecdote sur la grande baie plongeant à l’orient, sous les voûtes où Roseline Bacou aimait s’asseoir pour admirer les lumières flamboyantes de la cité pontificale ? Il y avait là un tel courant d’air par temps de mistral qu’elle décida, en accord avec les Monuments Historiques, de fermer la haute baie par des verres épais qu’elle fit barder de deux fers horizontaux. A son grand désespoir, les oiseaux habitués à ce passage se fracassèrent en plein vol sur la vitre. Prête à tout démonter, une de ses amies lui dit alors : - Ne vous inquiétez pas, ils vont se le dire ! - Qui, « ils » ? demanda Roseline inquiète – ... les oiseaux, chère amie, les oiseaux ! Et effectivement, ils se le sont dits ! Deux jours plus tard, tous avaient adopté une autre trajectoire !