SEPTEMBRE 2015-AVRIL 2016
LES BONS PLANS
JARDINS
ERADICATION DU XYLELLA DE L'OLIVIER
Pour le Dr Jean-Louis Thillier, consultant scientifique européen, la lutte contre la bactérie Xylella fastidiosa, qui ravage actuellement les oliviers italiens, est parfaitement réalisable grâce aux moyens récemment développés par la science. A&E – Un foyer de bactéries phytopathogènes nommées Xylella fastidiosa, qui provoquent des dessèchements sur les feuilles et des symptômes de déclin rapide sur les oliviers, a été déclaré en Italie. Redoutables nuisibles, ces bactéries ont épargné l’Europe depuis un siècle. Quels sont leurs mécanismes phytopathogéniques ? Dr Jean-Louis Thillier – En 2013, le premier cas européen d’un foyer de la bactérie Xylella fastidiosa [1] a été enregistré dans la région des Pouilles, au sud-est de l’Italie. Dans la province de Lecce, située dans la péninsule du Salento qui constitue le talon haut de la « botte » de l’Italie, on recense 2,2 millions d’oliviers, soit 20% des oliviers du Salento. La superficie des oliveraies dans les municipalités atteintes [2] est de 18 846 hectares (13 998 fermes). Toutefois, la région touchée par l’infection pourrait être beaucoup plus vaste. En effet, deux nouveaux foyers qui bordent les provinces de Brindisi et de Tarente, et un foyer isolé situé à Oria, dans la province de Brindisi, ont été récemment découverts. La maladie affecte principalement des oliviers âgés (100 ans ou plus). On note d’abord une brûlure-dessèchement des feuilles. La périphérie des feuilles passe ainsi du jaune au brun foncé, puis le brunissement se propage vers l’intérieur de la feuille pour finalement aboutir à la dessiccation. Toutefois, les feuilles desséchées et les drupes flétries restent attachées. Dans les stades plus avancés, on observe le dessèchement des rameaux des oliviers (avec une répartition aléatoire dans le houppier), suivi de la mort des arbres. Ce syndrome rapide du déclin des oliviers a été dénommé CoDiRO en italien. Dans la même zone, la brûlure-dessèchement des feuilles concerne aussi l’amandier et le laurier rose. La maladie a un impact sérieux sur le secteur productif de l’huile d’olive, qui est très important puisqu’avec près de 500 millions de tonnes par an, l’Italie est le deuxième producteur d’huile d’olive mondial après l’Espagne. Ainsi, avant la flambée, la culture de l’olivier dans les Pouilles représentait 30% de la production italienne. De même, la maladie a un grave impact sur le secteur très productif de la pépinière, avec pour conséquences immédiates l’interdiction de tout mouvement et de la commercialisation de tous les produits des plantes. Les mécanismes phytopathogéniques de Xylella fastidiosa sont assez simples. Bactérie Gram négatif et aérobie stricte, elle est transmise exclusivement dans les vaisseaux du xylème des plantes (le xylème est un constituant des tissus végétaux) par certains insectes piqueurs-suceurs de sève. Rappelons que ces vaisseaux transportent la sève brute, sève minérale composée d’eau et de nutriments, dont le flux est toujours ascendant depuis les racines jusqu’à « l’usine photosynthétique » représentée par les feuilles. Une fois que la plante-hôte réceptive a été colonisée, les bactéries X. fastidiosa, adhérentes entre elles et à la surface des vaisseaux du xylème, forment une communauté multicellulaire qui sécrète une matrice adhésive et protectrice, un biofilm, visible macroscopiquement sous la forme d’un gel. Ce « biofilm-gel » arrive à obstruer la circulation d’eau à travers les vaisseaux et bloque alors la nutrition de la plante. Depuis un siècle, sur le continent américain, la bactérie X. fastidiosa génère des symptômes graves pour de nombreux arbres plantés, plantes agricoles et ornementales. Par contre, des plantes sauvages contaminées par cet agent phytogène, comme les graminées et les carex, ne présentent aucun symptôme. Ces porteurs sains représente une importante « réserve » de bactéries pathogènes lesquelles seront transmises par des insectes à des hôtes sensibles comme les pieds de vigne, les orangers, les caféiers... Chez X. fastidiosa, on a identifié au moins quatre sous-espèces bien distinctes qui induisent chacune, sur des hôtes qui leur sont spécifiques, des types de symptômes différents. Citons : La chlorose panachée des citrus (Citrus Variegated Chlorosis), qui est une décoloration plus ou moins prononcée des feuilles sur le caféier et l’oranger, entraînant la production de fruits de petite taille. Ces symptômes ont été observés pour la première fois en 1987 dans les Etats fédérés du Brésil de Sao Paulo et du Minas Gerais. L’identification d’une bactérie du genre X. fastidiosa comme agent pathogène a eu lieu six ans plus tard (Chang [3] et al, 1993 ; Hartung [4] et al, 1994). La maladie de Pierce de la vigne (Pierce’s disease), est caractérisée par des jaunissements et des rougissements des feuilles sur la vigne, avec défauts de lignification (une fois les feuilles tombées, la vigne ne transforme pas les rameaux souples en sarment dur par lignification, c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’aoûtement), et avec persistance des pétioles (la pièce foliaire qui relie la feuille au rameau) après la chute des feuilles. En 1880, une première flambée de cette maladie a détruit 14000 pieds de vigne dans la zone agricole située autour de Los Angeles, sur une cinquantaine de vignobles qui ont dû être abandonnés. Depuis, en Californie, plusieurs flambées sont apparues. L’agent étiologique de la maladie, la bactérie Xylella fastidiosa, a été isolé un siècle plus tard en 1978, par Davis [5]. En 1987, une sévère flambée dans les vignobles californiens, suite à l’introduction d’un petit insecte piqueur-suceur de sève du sud des Etats-Unis (Homolodisca vitripennis ou cicadelle pisseuse), a permis à John M. Wells [6] de déterminer toutes les caractéristiques de ce phytopathogène. - Les brûlures-dessèchements des feuilles, qui affectent les oliviers (le fameux CoDiRO), les amandiers (Almond Leaf Schorch ; publication de Mircetich [7], 1976 – Californie) et les lauriers-roses (Oleander Leaf Schorch). - La coloration bleue-verte des feuilles, qui est accompagnée d’un nanisme sur la luzerne. - Le port tombant et la réduction des entrenœuds, affectant les pêchers (Phony Peach Disease ; Travaux de Wells JM [8]en 1983, USA). En 2004, Schaad [9] et al. ont divisé 26 souches en trois sous-espèces : X. fastidiosa. subsp. Fastidiosa, distribuée en Amérique centrale et en Amérique du nord (Mexique, USA et le centre-est du Canada), est pathogène pour la vigne, l’oranger, l’amandier et le caféier ; Multiplex, distribuée aux USA et au Brésil, touche l’amandier, le pêcher, le prunier, la myrtille, le chêne et le pacanier ; enfin Pauca, distribuée en Amérique du Sud (Brésil, Paraguay et Argentine), provoque une maladie sur les agrumes (l’oranger) et le caféier. L’année suivante, Schuenzel [10] et al. ont ajouté la sous-espèce sandyi, qui est distribuée aux USA et attaque le laurier-rose. En 2013, l’équipe italienne dirigée par Saponari [11] a réalisé, en urgence, des dosages par amplification en chaîne par polymérase (PCR, technique de laboratoire) sur des extraits de nervures de feuilles et pétioles d’oliviers italiens malades provenant de la province de Lecce. Ces dosages ont donné des réactions positives à l’aide des amorces spécifiques de gènes de la bactérie X. fastidiosa. Les mêmes tests moléculaires, étendus aux amandiers et aux lauriers-roses implantés à côté de vergers d’oliviers malades et atteints eux aussi de brûlures-dessèchements des feuilles, ont été également positifs. De plus, des tests commerciaux utilisant le DAS ELISA (Double Antibody Sandwich ELISA) indirect par le système biotine-streptavidine se sont révélés eux aussi positifs. Il fallait alors déterminer quelle sous-espèce du genre X. fastidiosa s’était installée dans les Pouilles italiennes, en la comparant au sept génomes de X. fastidiosa déjà entièrement séquencés, à savoir : 1) la souche 9a5c provoquant la chlorose panachée des citrus ; 2) les souches Temecula 1 et GB514 de la maladie de Pierce de la vigne ; 3) les souches M12 (correspondant à X. fastidiosa subsp. Multiplex) et M23 (correspondant à X. fastidiosa subsp. Fastidiosa) provoquant les brûlures-dessèchements des feuilles de l’amandier ; 4) la souche ANN1 des lauriers-roses ; 5) la souche MUL0034 du mûrier. En 2015, l’équipe italienne dirigée par Annalisa Giampetruzzi [12] a réalisé le séquençage ADN de la bactérie phytopathogène et a pu révéler qu’il s’agit d’une souche éloignée des sous-espèces fastidiosa et multiplex. La souche italienne, qui frappe les oliviers de dépérissement par brûlure-dessèchement des feuilles, est génétiquement proche de la sous-espèce brésilienne X. fastidiosa. subsp. Pauca, qui est distribuée en Amérique du Sud (Brésil, Paraguay et Argentine) et y provoque une maladie sur l’oranger et le caféier. Elément très rassurant pour nos vignobles italiens et français : la vigne ne serait pas l’hôte potentiel de cette souche. A&E – Le fait qu’Olea europaea soit hôte de X. fastidiosa est un phénomène récent dans le monde. En effet, la première description de brûlures-dessèchements des feuilles sur les oliviers a été faite en Californie en 2010. La souche américaine est-elle identique à la souche italienne et est-elle responsable de la flambée dans le sud de l’Italie via un échange commercial avec les USA ? Dr Thillier – En Californie, seulement 17% des oliviers atteints de brûlures-dessèchements des feuilles ont été testés positifs par PCR pour X. fastidiosa. Il existe donc un autre phytopathogène responsable de cette atteinte. De plus, les analyses moléculaires ont révélé que les souches appartenaient à la sous-espèce subsp. Multiplex, et que leurs inoculations mécaniques à des oliviers dans des serres sécurisées aboutissaient à une infection à très faible rendement. En effet, ces infections expérimentales sont restées asymptomatiques et avaient tendance à une autolimitation. En 2014, pour Krugner [13] et al., toutes les données indiquent que X. fastidiosa n’a pas causé de brûlures des feuilles d’olivier ou le dépérissement des branches aux USA. En revanche, les oliviers sont considérés comme une réserve de l’agent phytogène vis-à-vis de la maladie de Pierce de la vigne. L’origine de la flambée en Europe ne provient donc pas d’un échange commercial avec la Californie. A&E– Sur le continent américain, on constate qu’il n’y a aucune éradication réussie de X. fastidiosa une fois qu’elle est établie dans une région, car cet agent phytopathogène possède une large gamme d’hôtes (souvent asymptomatiques) et de nombreux insectes suceurs de sève et vecteurs. Le confinement de la zone touchée et l’arrachage des oliviers atteints sont les options choisies par les instances de l’Union européenne. Les antibiotiques peuvent-ils combattre X. fastidiosa installée dans la plante ? Quelles sont les solutions alternatives à envisager ? Dr Thillier – L’utilisation des antibiotiques contre X. fastidiosa est la plus mauvaise solution, et ce pour deux raisons : d’une part, elle pourrait compromettre la récolte ; d’autre part, elle pourrait conduire à la création de souches plus agressives, phytopathogènes résistantes aux antibiotiques. Heureusement, il existe plusieurs solutions alternatives pour remplacer les antibiotiques. La plus élégante et la plus respectueuse de l’environnement est l’utilisation des petits peptides antimicrobiens (PAMs), que l’on devrait appeler « peptides de défense de l’hôte (HDP) ». Rappelons que chez les mammifères, pour contrer les agressions des microbes, le système immunitaire possède une réponse innée, première ligne de défense qui comprend les macrophages et les granulocytes neutrophiles, des cellules mobiles spécialisées qui ont le pouvoir de phagocyter (absorber et digérer) les intrus de façon non spécifique. Après la réponse innée, si cela est nécessaire, il y a une réponse adaptative qui fait intervenir d’autres cellules mobiles spécialisées (les lymphocytes B qui sont responsables de la production d’anticorps, protéines capables de se fixer sur les protéines étrangères et de détruire le pathogène, et les lymphocytes T cytotoxiques – TCD8 ou T killer –, qui détruisent les cellules infectées). Mais les plantes sont dépourvues de cet arsenal de cellules mobiles spécialisées. Pourtant, la maladie est plutôt exceptionnelle chez elles. Pourquoi ? La première ligne de défense des végétaux contre les agents pathogènes est formée par la paroi pecto-cellulosique, une barrière physique comparée à du béton armé [14], notablement imperméable aux agents pathogènes et difficilement consommable pour les insectes. Cependant, à travers des blessures (infligées par les insectivores ou l’homme via les outils) ou l’utilisation d’enzymes hydrolytiques par certaines bactéries, les agents pathogènes peuvent envahir l’apoplasme (l’espace vide entre les cellules végétales, dans lequel l’eau et les solutés naviguent par diffusion passive). De même, les bactéries peuvent pénétrer par les stomates, minuscules orifices visibles dans l’épiderme de la face inférieure des feuilles et qui permettent les échanges gazeux entre la plante et l’air ambiant (l’« oxygène », le gaz carbonique, la vapeur d’eau), ou bien par les hydatodes, tissus sécréteurs qui rejettent l’eau issue d’un vaisseau du xylème par des orifices aménagés entre des cellules épidermiques foliaires. Dans ces conditions d’envahissement de l’apoplasme, où la survie de la plante exige une réponse rapide de défense, les cellules végétales ont développé un système de reconnaissance de structures moléculaires élémentaires omniprésentes à la surface de tous les microbes (structures dénommées éliciteurs de réactions de défense), au moyen de récepteurs membranaires. Dès l’association de l’éliciteur et du récepteur membranaire de la cellule végétale, on observe une traversée de flux d’ions de part et d’autre de la membrane de la cellule végétale : entrée de calcium et sortie de nitrates, de chlore, puis de potassium. Ces mouvements d’ions entraînent la production d’espèces réactives de l’oxygène et de l’azote qui sont toxiques pour la membrane bactérienne, ainsi que la synthèse d’un polymère du glucose, le callose, proche de la cellulose qui contribue au renforcement des parois de la cellule végétale ainsi qu’à l’occlusion des vaisseaux empruntés par la sève pour s’opposer à l’expansion des phytopathogènes dans la plante. De plus, les ions calcium qui entrent dans la cellule déclenchent des facteurs de transcription, en parallèle à d’autres évènements de signalisation, qui favorisent l’expression des gènes de défense dont ceux qui vont produire un ensemble redoutable de peptides antimicrobiens (PAM), petites protéines comportant en moyenne de 12 à 50 acides aminés. Au cours des vingt dernières années, de nombreux PAM ont été isolés à partir d’invertébrés, d’insectes et de plantes. Souvent non structurés, de nombreux PAM adoptent une structure tridimensionnelle commune [15] lors de l’interaction avec la membrane bactérienne : la plupart se replient sous la forme d’une hélice alpha-amphipathique [16] comprenant à la fois un groupe hydrophobe qui va se refugier à l’intérieur de la membrane bactérienne et un groupe hydrophile cationique ayant plusieurs charges électriques positives attirées par les charges négatives situées sur les liposaccharides de surface du microbe. Ces peptides tuent alors les micro-organismes, soit par un effet de type détergent avec désintégration de la membrane (micellisation, le peptide agissant comme tensioactif pour générer des micelles à partir de la bicouche lipidique), soit par la perforation de la membrane. En effet, ces peptides hélicoïdaux, qui traversent la bicouche lipidique de la bactérie, peuvent se regrouper pour former des canaux aqueux (Hwang and Vogel, 1998), ce qui entraîne une perte de potassium, l’arrêt de la respiration et la mort de la bactérie en moins d’une minute (Cociancich et al., 1993). Cette mort est concentration-dépendante et indépendante de l’interaction avec une cible moléculaire unique, d’où l’absence potentielle de phénomène de résistance (Hancock, 2001). De rares espèces résistantes ont toutefois été trouvées, comme les bactéries des genres Burkholderia, Morganella ou Serratia, qui ont réduit la charge négative sur leurs lipopolysaccharides de surface, et Porphyromonas gingivalis, qui sécrète des protéases dégradant les peptides antimicrobiens. Chez l’Homme, les membranes des cellules eucaryotes, qui sont riches en phospholipides neutres et contiennent du cholestérol comme élément stabilisateur, ont peu d’interactions avec les peptides antimicrobiens. De nombreux groupes de PAM ont été identifiés dans les plantes, et isolés dans de nombreux tissus comme les graines, les racines, les tissus vasculaires et les feuilles (Moreno et al. 1994 ; Park et al. 2002 ; Silverstein et al. 2007). Parmi eux figurent les thionines, les défensines et des protéines de transfert de lipides (Castro [17] et Fontes, 2005). La plupart de ces peptides antimicrobiens ont un spectre d’activité étendu qui couvre la majorité des espèces bactériennes et fongiques, voire des virus enveloppés et des protozoaires. Des peptides ayant un spectre limité ont également été isolés. Pour les peptides les plus actifs, les concentrations minimales inhibitrices sont comprises entre 1 et 5 μg/ml (Hancock, 2001). Afin de créer un traitement pour les oliviers italiens agressés par Xylella fastidiosa, les peptides antimicrobiens sont d’excellents candidats en raison de leur large spectre d’activité contre de nombreuses bactéries à Gram négatif. Par rapport aux antibiotiques conventionnels, ils entraînent immédiatement la mort des bactéries en impliquant de nombreuses cibles, contrairement aux médicaments bactériostatiques qui inhibent la multiplication des bactéries. Mais l’avantage majeur des PAMs réside dans leur action sur des souches bactériennes multirésistantes à au moins trois familles d’antibiotiques, cette multirésistance explosant depuis une décennie. De plus, le développement d’une résistance à un peptide antimicrobien cationique est peu probable, car il est impensable qu’une bactérie modifie totalement sa membrane pour empêcher l’action des PAMs. En effet, quelques peptides sont déjà utilisés comme médicaments (gramicidine S, un cyclodécapeptide comportant un important réseau de liaison hydrogène intramoléculaire qui stabilise fortement le macrocyte, et polymyxine B, un peptide cyclique avec une longue queue hydrophobe, qui détruisent tous deux les membranes des bactéries), mais aussi pour la conservation de la nourriture (nisine, PAM de 34 résidus acide aminé utilisé comme additif alimentaire – conservateur sous le n° E234), et aucune diminution de la capacité de ces peptides antimicrobiens à combattre les infections bactériennes n’a été rapportée (Hancok, 2003). Les oliviers italiens en dépérissement ne possèdent pas de réponse immunitaire innée de protection contre l’infection par X. fastidiosa. subsp. Pauca, bactérie qui ne passe pas par l’apoplasme mais s’installe directement dans le xylème au contact de cellules mortes des parois des vaisseaux sans possibilité de défense. A partir d’un organisme vivant, il faut donc trouver un peptide antimicrobien à activité anti-X.fastidiosa et le gène codant ce PAM. Ensuite, il faut trouver un vecteur comprenant le gène de ce PAM, pour le transférer dans tout ou partie des cellules végétales de l’olivier afin d’avoir une libération permanente de PAM-antiX.fastidiosa au sein du xylème. Cette production d’oliviers transgéniques avec une résistance à X. fastidiosa est aujourd’hui réalisable. L’identification de nouveaux composés dérivés de plantes, susceptibles de présenter une activité antimicrobienne spécifique vis-à-vis des plantes, permet d’envisager le développement de nouveaux biopesticides. Des obtentions de brevets sont en cours dans le monde entier. A&E – En dehors des peptides antimicrobiens, pouvons-nous envisager d’autres solutions pour combattre X. fastidiosa lorsqu’elle est installée dans la plante ? Dr Thillier – En dehors des redoutables peptides antimicrobiens, il existe d’autres solutions possibles. Une première solution est d’utiliser des bactériophages, c’est-à-dire des virus spécifiques qui pourraient attaquer les bactéries X. fastidiosa. En effet, chaque espèce de bactérie possède ses propres bactériophages : d’une part ceux qui sont lytiques car ils se multiplient aux dépens de la bactérie et la détruisent ; d’autre part ceux qui sont lysogènes, cas dans lequel le génome du phage est injecté dans la bactérie mais ne s’y réplique pas puisqu’il va s’intégrer dans le génome bactérien sans détruire la bactérie. Tous ces virus sont facilement isolables car ils se développent parallèlement aux bactéries. En 2014, Stephen J. Ahern [18] et al., ont rapporté l’isolement et la caractérisation de premiers phages virulents : les siphophages Sano et Salvo (membres du phage Nazgul-like) et les podophages Prado et Paz (membres des types de phages phiKMV). Des phages pourraient donc être utiles comme agents d’une stratégie efficace et respectueuse de l’environnement pour le contrôle des maladies causées par certaines sous-espèces de X. fastidiosa. En Californie, un essai sur le terrain est en cours après l’achèvement d’un essai dans des serres sécurisées. Une autre approche consiste à traiter les oliviers en voie de dépérissement avec la N-acétylcystéine (NAC), un acide aminé non essentiel, dérivé de la cystéine qui est utilisée en médecine pour casser les ponts disulfures du mucus du tractus respiratoire et le liquéfier pour faciliter la toux. De la même façon, la NAC réduit l’adhérence des bactéries dans le xylème de la plante en perturbant la formation du biofilm. Ainsi, récemment, Muranaka [19]et al. ont prouvé que la NAC induit une rémission importante des symptômes et un taux de croissance bactérienne réduit de X. fastidiosa dans les orangers atteints de chlorose panachée des citrus, lorsqu’elle est fournie régulièrement dans les solutions de fertirrigation, qui est l’application simultanée et localisée d’eau et d’engrais à travers un système d’irrigation en goutte à goutte. Mais on peut surtout agir en perturbant le langage de X. fastidiosa. En effet, toutes les bactéries libèrent un facteur signal diffusible (DSF), qui joue un rôle important dans le contrôle de processus variés impliqués dans la pathogénie (biofilm, mobilité, antibiotiques, peptides antimicrobiens…), et qui sont de petites molécules d’acides gras. Ces facteurs diffusibles sont appelés autoinducteurs. Toutes les bactéries détectent et réagissent à l’accumulation de ces autoinducteurs qui sont considérés comme de véritables molécules de signalisation, assimilables à des « mots chimiques » et permettant aux bactéries de communiquer entre elles. Ce processus, appelé quorum sensing, permet à une population de bactéries d’une souche donnée de réguler le comportement de manière coordonnée, concertée, et d’acquérir ainsi une partie des caractéristiques des organismes multicellulaires. Ainsi, de nombreux comportements d’une population bactérienne sont réglementés par quorum sensing, y compris la symbiose, la virulence (dont la formation de biofilm et la production d’antibiotiques). De plus, les bactéries peuvent avoir plusieurs langues qui servent à des fins différentes, et de nombreuses bactéries possèdent une langue non spécifique à l’espèce. Ces résultats impliquent que les bactéries peuvent évaluer leurs propres chiffres de population ainsi que la densité des populations d’autres espèces de bactéries dans les environs. En outre, les réponses distinctes à des signaux intraspécifiques et interspécifiques permettent à une espèce particulière de bactéries de moduler correctement son comportement, soit pour aider, soit pour entraver des bactéries voisines. Ainsi, des bactéries ont développé des stratégies pour brouiller le langage de certaines autres bactéries en détruisant leurs molécules de communication chimique ou en produisant des antagonistes à leurs autoinducteurs. Ces thérapies naturelles perturbant le quorum sensing sont utilisées comme modèles dans la conception de nouvelles stratégies de synthèse de molécules destinées à manipuler les systèmes de quorum sensing chez les bactéries, et en particulier chez X. fastidiosa. La recherche biotechnologique canalise maintenant son énergie sur le développement de molécules qui sont structurellement liées aux autoinducteurs en tant que médicaments antimicrobiens visant les bactéries qui utilisent le quorum sensing pour contrôler leur virulence. Ainsi, chez X. fastidiosa, Chatterjee [20] et al ont prouvé que des signaux chimiques diffusibles nécessaires pour la communication intercellulaire (DSF) sont nécessaires pour le micro-organisme pendant la phase de colonisation de l’insecte et pendant la phase d’invasion du xylème, avec la formation conséquente de biofilms. En interférant avec les mécanismes cellulaires qui régulent la synthèse de DSF, il peut être possible de réduire la capacité des bactéries à infecter le xylème et/ou à coloniser l’insecte vecteur, sans causer aucune altération dans la plante ou dans le vecteur lui-même. En conclusion, dans la lutte contre X. fastidiosa, la recherche a déjà produit des résultats qui cherchent à conserver la plante par l’introduction de substances n’affectant pas l’olive ou ne modifiant pas le milieu environnant de l’olivier infecté. Ici comme ailleurs, il serait temps de lui faire confiance ! A&E – La bactérie Xylella fastidiosa est transmise exclusivement dans les vaisseaux du xylème des plantes par certains insectes piqueurs-suceurs de sève, dont les principaux sont les cicadelles et les cercopes. Existe-t-il des alternatives à l’utilisation des pesticides ? Dr Thillier - Oui, il existe plusieurs alternatives prometteuses. Phileanus spumarius, dénommé cercope des prés ou cicadelle écumeuse, est le vecteur identifié comme étant responsable de la transmission de X. fastidiosa aux oliviers, amandiers et lauriers-roses de la province de Lecce en Italie. Cet insecte se nourrit de la sève des végétaux grâce à son rostre, pièce buccale qui sert de guide aux stylets perforants qui pénètrent dans les vaisseaux de la plante pendant la nutrition. Les caractéristiques de la transmission comprennent l’absence d’une période de latence, la persistance de l’agent phytopathogène chez le cercope adulte et la multiplication dans l’intestin antérieur de l’insecte sans internalisation et circulation de la bactérie dans sa lymphe ni dans son organisme. Différents facteurs influencent cette transmission vectorielle de X. fastidiosa aux oliviers : la distribution et la densité des populations bactériennes dans les plantes-hôtes, la gamme d’hôtes de X. fastidiosa, la préférence de certaines plantes par l’insecte, la saison de l’inoculation et les conditions climatiques. Il ne faut pas supprimer les populations de cercopes par des insecticides pour ne pas perturber l’équilibre d’un écosystème nécessaire. Malheureusement, la plupart des stratégies de contrôle se concentrent sur l’agent X. Fastidiosa (bactéricides) ou sur le vecteur (insecticides), plutôt que de cibler les interactions entre eux. Il est impératif de tenter de bloquer la transmission de X. fastodisia par le cercope sans affecter directement l’organisme de l’insecte vecteur. Il faut bloquer les interactions moléculaires entre l’intestin antérieur de l’insecte-suceur (qui est recouvert d’une couche de chitine) [21] et la surface [22] de la bactérie, qui permettent dans un premier temps l’adhésion, et donc la colonisation. Cette adhésion bactérienne, première étape obligatoire pour une future transmission, fait intervenir des constituants superficiels de la bactérie (adhésines) et des récepteurs cellulaires de l’insecte qui sont spécifiques à X. fastidiosa. Cette dernière, qui n’a pas d’adhésines filamenteuses ancrées à sa surface (Pili ou fimbriae), utilise des adhésines non fimbriales, protéines situées à la surface de sa paroi et permettant un contact serré entre la bactérie et la paroi de l’intestin antérieur du vecteur. Les premières stratégies utilisant trois groupes de molécules – les lectines, les hydrates de carbone avec des résidus N-acétylglucosamine et des anticorps – visant à perturber les interactions nécessaires à la fixation, première étape pour la transmission, ont conduit à des réductions de propagation de la maladie. Premièrement, l’adhérence diminue lorsque certains hydrates de carbone avec des résidus N-acétylglucosamine ont été ajoutés à des suspensions dans des essais d’adhérence, indiquant que la saturation des adhésines affecte l’adhérence avec la cuticule du vecteur. La découverte récente que la bactérie X. fastidiosa utilise la chitine comme sa seule source de carbone est une preuve supplémentaire que les résidus N-acétylglucosamine sont importants pour la colonisation. Ensuite, les lectines, protéines avides de sucre ayant une affinité pour des substrats sur la surface de la cuticule de l’intestin antérieur de l’insecte-vecteur infecté, comme l’agglutinine du germe de blé (une protéine dimérique qui reconnaît spécifiquement les oligomères de (1,4)-N-acétylD-glucosamine), entraînent des réductions statistiquement significatives du taux de transmission par compétition avec les protéines de liaisons de X. fastidiosa. Enfin, des anticorps dirigés contre les adhésines non fimbriales de X. fastidiosa ont également abouti à un blocage de la transmission. Cependant, aucun traitement ne parvient à la suppression complète de la transmission, car la colonisation du vecteur est un processus complexe qui se déroule en plusieurs étapes, de l’adhésion cellulaire initiale à la formation du biofilm (biofilm dépendant du quorum sensing des bactéries adhérentes). Les travaux sur les interactions fastidiosa-vecteur ont principalement porté sur la formation des premières étapes, à savoir l’adhésion cellulaire initiale. Les alternatives seront très encourageantes, surtout si elles sont associées avec la N-acétylcystéine et/ou avec la perturbation du langage de Xylella fastidiosa.